Nous sommes rentrés. Tout porte désormais à croire que le voyage est fini. Nous sommes déjà à la fin du mois d'Août, la France est en congé pour quelques jours encore, et tandis que nous digérons péniblement ce retour, je m'aperçois que je manque de rigueur sur la conduite de ce site qui nous a accompagné ces onze derniers mois. Je prendrai certainement du temps pour décrire ce sentiment étrange qui traine au fond des tripes depuis le retour à la réalité hexagonale. Pour l'heure, impossible de clore le chapitre, sans évoquer le gros mois passé en Inde, sorte de bouquet final de l'aventure. La "cerise sur le ghetto" aurait parié un rimeur français sur le déclin.
"L'Inde est une anarchie qui fonctionne" gribouilla un jour un célèbre économiste dont le nom m'échappe. On ne tiendra pas rigueur au gentil monsieur sur le sens originel du terme "anarchie", puisque l'autorité est malgré tout présente dans les différents états indiens mais on peut certainement lui donner raison sur le chaleureux désordre ambiant qui règne sur l'ensemble du territoire.
Comme une course effrénée d'un myope, qui termine la face écrasée sur le double vitrage de la porte fenêtre de la cuisine, on prend l'Inde en pleine face. On se retrouve avec quelques marques au visage, mais on adore y revenir au cas où on aurait oublié l'effet que cela fait. Tu aimes ou tu détestes, choqué ou entiché, par cette rencontre avec un peuple authentique et différent. Tellement différent.
C'est ma deuxième visite en Inde. Complètement submergé émotionnellement lors de mon précédent retour en France en 2006, j'appréhendais cette nouvelle visite. On entend, et on lit des tas de choses sur ce pays, qui semble être en prise avec une dimension mystique difficilement descriptible. J'ai beau accrocher fièrement la bannière de l'athéisme à la sangle de mon sac à dos, difficile de ne pas succomber à cette envoutante atmosphère, belle et bien religieuse.
Nous avons donc atterri à Triplicane, dans le quartier musulman de Chennai, dans le sud du pays. J'y retrouve mes marques, des odeurs, des concerts de klaxons, des frimousses familières et un bordel qui me rassure.
Quelques heures seulement après avoir déposé bagages, Vishuah, "agent" et businessman dans l'industrie cinématographique Tamoule, nous propose une petite semaine de figuration dans différentes productions locales. Boum, c'est parti! Nous serons, danseurs ou médecins, patients et courageux lors de ces interminables journées de créations audiovisuelles. Pour quelques rupees par jour, un plumard à l'oeil, et un repas gratuit, on fait pas non plus les difficiles.
Puis, nous avons repris la route ou plutôt les rails. On ne tient pas en place. Cinq nuits dans le même endroit, et c'est déjà trop long. Dans ses trains indiens pour remonter vers le nord, nous avons rencontré des milliers de gens. Dans des compartiments pour 6, nous étions parfois une bonne vingtaine à s'échanger des fluides corporels et des verres d'eau au délicat pouvoir de destruction intestinale. Ces trajets de minimum 24 heures, nous ont menés jusqu'à Bombay, capitale économique du pays, et ville aux contrastes saisissants. Au cinéma de Colaba, nous avons dégusté la qualité du cinéma Bollywoodien, et l'incroyable attitude des spectateurs, toujours actifs et exaltés par l'action en cours. En Inde, on va au cinéma comme on peut aller voir un match de criquet. On s'adresse aux personnages à l'écran comme s'ils allaient nous répondre. Plus l'apostrophe sera bruyante, plus le héros aura sans doute de chance de vous adresser la réplique suivante. Il faut avoir une âme d'enfant, se lever quand c'est nécessaire et applaudir à s'en rougir les mains pendant le bisous de la scène finale. Aucun souci, on adhère à 200 pour cent. Un film dont vous pourriez être le héros. Le spectateur devient acteur. Ces gens là ont tout compris.
Puis Varanasi, la cité mystique, les bords du Gange, les crémations, les ablations, les journées à l'hôpital à éponger toute l'eau partagée dans le train suscité, et la fatigue qui commence à nous gagner. Halte à toutes les vilains becs caustiques qui défendent des thèses nihilistes pour décrire le quotidien du voyage. Toute expérience de pérégrination est éprouvante, mais l'Inde va au delà, elle te scie les jambes, et parfois le moral.
A Pushkar, comme à Delhi, on s'est mis à sérieusement à penser au retour. Aux tracas que nous allions retrouver, une fois le pied posé sur le tarmac de la ville rose. Alors, on a reprit une nouvelle mobylette, une énième motocyclette pour rejoindre Sohna, Marco, ou Papu. On s'est incrusté dans un mariage, on a claqué la bise aux chameaux, puis on a pris un dernier bus de nuit.
Et on a finit par revenir. Je suis même allé au cinéma. Le film était nul, j'ai pas applaudit, ni crié, ni sifflé une seule fois. Le siège était confortable, et mon voisin avait pris le soin de laisser exactement 6 fauteuils entre nous.
Tout est rentré dans l'ordre. Je sais maintenant que j'aime pas trop l'ordre. Je suis sur que je préfère l'Inde.
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