dimanche 4 décembre 2011

Can I kick it ?

J'ai toujours écouté un peu de rap. Comme ça, de temps à autre, manière de me tenir un peu au jus de ce qui se passe hors des frontières très cloisonnées du milieu punk rock. Je me souviens encore de mon premier disque hip-hop envoyé dans les cages à miel.
Milieu des années 90, j'étais au collège, le bon vieux temps. Le temps où les études étaient loin d'être une priorité, le temps où les filles n'existaient que pour les autres (pas de soucis, la réciproque était toujours de mise), le temps où le skateboard paraissait comme la seule et unique raison de vivre.
Pendant cette période là, j'écoutais Wu Tang Clan "36 Chambers". Avec le recul, je ne sais pas si j'ai vraiment aimé à l'époque. La bande à Old Dirty Bastard tournait en boucle dans mon walkman auto-reverse, mais je ne saurais trop vous dire si j'appréciais réellement. Le rythme binaire, me parlait, le chant amerloque certainement moins. A un âge, où tu demandes encore ce que veut dire "FUCK" en anglais, décrypter les textes de "C.R.E.A.M" semblait une activité des plus délicates.
En tous cas, cela me donnait une caution pseudo-rebelle pour pouvoir franchir les grilles des propriétés privées, capuche sur le museau, avec dans la carcasse ce sentiment que rien ne pouvait entraver à mes relations fusionnelles avec l'asphalte et la planche à roulette.
Au lycée, impossible de passer à coté de "L'école du micro d'argent" d'IAM. Le rap de Marseille me fascine, me titille, m'envoie faire des infidélités à mon âme de jeune rockeur naïf. La nouvelle génération de rappeurs qu'incarne la Fonky Family m'envoie directement une belle claque dans la gueule. Leur album s'appelle "Si dieu veut", et à l'époque je le prend comme un disque de punk rock : Frais, brut, et grinçant. La révolte au bout du poing.
A Toulouse, KDD fait danser les gens. En parallèle, je découvre, 2Bal 2'Neg, Triptik,le premier Neg'Marrons, NTM, Oxmo Puccino, le début du Secteur A, etc... Mes oreilles s'octroient des récréations de distorsions des plus honorables.
Oui mais voilà, mon truc à moi, cela reste le punk rock. Et tu as beau t'affranchir l'esprit avec quelques chansons issues aussi de la culture urbaine, il faut que pour ton entrée dans la dernière ligne droite de l'enseignement secondaire, tu te sois trouvé un camp.
Dans le mien, on portait des baggy-pants, des cheveux sales, et on écoutait NOFX, Rancid, Pennywise, Les Sheriffs et les Sales Majestés. J'écoute quasiment toujours les mêmes groupes, mais depuis je me suis lavé les cheveux (cela m'a permis de résoudre quelques problèmes évoqués plus haut).


Les années passent, et je lâche quelque peu l'affaire. Mis à part la période qualifié de "rap alternatif" par les bien pensants, j'écoute très peu de rap. Svinkels envoient comme un vrai groupe de rock en live. Les mecs déboitent, les paroles sont fun, et les jeux de mots à la hauteur de leur humour potache et dézingué. Mais après les avoir vu en tête d'affiche de tous les festivals "sacs en laine, cigarette roulée, et mélange de pastis" des années 2000, j'abandonne.
Bon, inutile de vous dire, que le rap radio de droite, prônant le port de bijoux et la misogynie m'intéresse autant que David Guetta et Christophe Mae réunis, je passe donc une sacrée période à écouter principalement ce que j'aime le plus depuis 20 piges.

Et puis un soir de Février 2011, je me retrouve par hasard au concert de Triptik dans la belle salle de Mix'Art Myris à Toulouse. Je n'en crois pas mes yeux, encore moins mes oreilles. Ma première réaction à la lecture du programme du soir est d'une bêtise absolue :
- "ah putain les mecs, ils ont choisi comme nom de groupe, le même nom qu'un groupe de rap des années 90. Quelle bande de naze!"
Réponse imminente de mon camarade :
- "C'est toi le naze, c'est LE groupe de rap dont tu parles!"

La suite fait désormais parti de l'histoire. Concert parfait. Black'Boul, Dabaaz et Drixxé : combinaison gagnante. La salle est pleine, les gaziers sont à block.
Gros charisme, pas de frime, juste une attitude positive et des mecs qui n'ont plus rien à prouver. Je passe plus d'une heure à balancer ma tête d'avant en arrière, les psychotiques en sont jaloux, tellement ça balance. Les tubes sont au rendez-vous, le public pousse le régalomètre à 20, et tout le monde bouge ses cheveux au bon moment. Concert terminé, les mecs échangent avec les fans, la citrouille dégonflée, le verbe facile, et font savoir sincèrement qui sont heureux d'être là, de retrouver le public 10 ans plus tard. J'en reviens pas qu'un groupe de rap de cette envergure puisse venir dans cet endroit que j'affectionne tant. Entrée à prix libre, squat aménagé, démarche et éthique alternative, le rap que j'aimais dans le temps peut aussi se combiner avec des valeurs qui me correspondent.
Ouais les gars, je suis naïf et inculte, mais je me satisfais la dedans. Fuck le reste, je viens de retrouver mon amante du lycée.
Je rentre chez moi, et je passe 10 mois à écouter tout ce qu'ont pu faire ces gaziers pendant 10ans. Promotion sur les gifles, tout est gratos, servez vous, vous vous en sortirez juste avec les joues rouges, et les oreilles éduquées. Voici, un court extrait. Le reste, allez le chercher vous même, l'exercice est passionnant.


Durant ces 10 mois, je suis donc tombé aussi sur la nouvelle garde du rap français. Triptik d'ailleurs semble porter un regard maternant et bien veilleur sur cette nouvelle génération. Une jeunesse qui écrit des textes, certes toujours portés sur le nombril mais avec la technique et le flow qui va avec. Cette jeunesse là, est aussi allé un peu plus à l'école certainement, le vocabulaire s'est enrichi avec les rimes, et la prétention s'en est allé laissant une belle place au charisme et la sincérité.
Emmené par le talent indéniable (et le buzz internet qui va avec) autour du groupe 1995, je suis tombé sur pas mal de mecs qui kickent dans l'obscurité depuis de nombreuses années, et qui sont poussés sur le devant de la scène depuis quelques mois. L'entourage, La Connnecta, Cool Connexion, A2H, sont des noms qui disent encore pas grand chose au plus grand nombre d'entre vous, mais cela n'est qu'une question de temps.
Autre symbole de cette nouvelle vague de fraicheur dans le rap hexagonal : Rap Contenders, des joutes verbales a capella, tout fraichement importés du Québec. Le principe est simple : 3 rounds pour chacun des participants, et le maximum de vannes. Ca rappelle la cours de récré avec des rimes. Amoureux des "Ta mère, elle est tellement..." vous allez être servis plus que de raisons.
La encore, le jeu reste fun et entrainant, les punchlines sont drôles, et chaque Mc possède une personnalité qui te pousse à chaque fois à cliquer sur le lien suivant. Essayez donc :


Il manquait plus que un évènement pour réunir tout ce beau monde et marquer comme il se doit cette période qui sent bon le renouveau. Triptik l'a bien compris et crée le concept Can I Kick it? au mois de Juin dernier. Profitant d'une visite sur la capitale, je me rend donc le mois dernier à la deuxième édition du nouveau rendez-vous immanquable de amateurs de hiphop.

Orelsan, est Le buzz du moment. Je dois avouer que l'album tourne un boucle depuis Septembre. Novateur, percutant, instrumentaux à la hauteur des phases du Normand, le chant des sirènes est la bonne surprise de la rentrée. Je viens donc voir qu'est-ce le Caennais a dans le ventre quant il s'agit de défendre ça sur les planches.
1h30 de file d'attente. Quand tu fréquentes les concerts punk rock toute l'année, ce genre de situation, tu connais pas. Chez nous, les gars il y a personne, on est 50, tout le monde se connait, et on attend pas pour rentrer dans la salle. Enfin bref, ça me laisse le temps, d'analyser un peu la faune du soir, et m'apercevoir, qu'il y a un peu de tout. Du trentenaire assagi, au jeune kid arborant le même look que la bande à Nekfeu, tapant le freestyle dans la file sur le trottoir.
Je dois avouer que à un moment, je me suis demandé ce que je foutais là. Mes partenaires de file d'attente, ont du se demander la même chose à la vue du patch Swinggin' Utters et du badge "Plus belle la vie" tu me diras.
Le concert est censé commencer à 00h00, après le concert de Birdy Nam Nam.
Il est plus d'1 heure du mat quand on arrive enfin a pénétrer dans l'antre parisienne. La fête a déjà commencé, je découvre agréablement Moudjad, puis le Perpignanais de Némir, accompagné sur un titre par Deen Burbigo.
Orelsan, finit par arriver. La foule est compacte, les gens connaissent les textes au millimètres, et le show semble rodé. Ceci dit, je suis largement déçu.
Le gonze chante faux sur tous ses refrains (normalement, il est rappeur pas chanteur me direz-vous), quand il ne se met pas sur hors-beat, le jeune baisse souvent les yeux pour ne pas voir une foule pourtant toute acquise à sa cause. Ca manque de fougue et de charisme tout ça. Le poids de la musique et des textes ne fait pas tout sur scène. Va falloir se caler quelques semaines en résidence pour être un peu plus convaincant très cher.
La suite se passe avec plein de Mc's qui me touchent un peu moins. Même si Tony de Puzzle fait son effet.
Je passe un moment très drôle sur la prestation de Joke.
"Wech wech negro, balance le son"

Le bonhomme entourée de tous ses ami(e)s passe un bon tiers de son set à essayer de retrouver un peu de sa sobriété. Bon, sur ce domaine, j'ai de leçons à donner à personne, ceci dit, concernant le traditionnel :
" Wech, Ca va la famille ?"
Il faut qu'on se mette au clair de suite. Jeune homme, lorsque tu auras partagé une fois dans ta vie, une salade aux gésiers de canard en compagnie de ma grand-mère, alors oui tu pourras proférer ce genre de remarques. Pour le moment, gardons nos distances, je suis pas de ta famille. Bon, il rappait bien tout de même, je charrie.
L'arrivée de Rocca met tout le monde d'accord. C'est le patron. Tout en classe, en flow, en technique et en ambiance sud-américaine. C'est toujours lui le papa.
Mes jambes commencent à flageller, j'attends toujours la Cool Connexion, mais l'heure tourne. Xanax et A2h débarquent. Le retour des gros lards selon leur dire. En tout cas, ils font du bien les deux costauds. Un peu de fraicheur et de rigolade tombe à merveille à ce moment de la soirée.
Cool Co? Non toujours pas, on abandonne, on quitte les lieux avec le Dj de Rocé qui rend hommage à Dj Medhi. On rate Triptik et la Cool Connexion. Morphée aura eu le dessus, il est 5h du matin.

Merde, je viens de m'apercevoir que j'ai un peu trop écrit sur cette article. Peut être que ce qui se passe actuellement en terme de rap français en vaut la peine.
Je vis ça de loin, tout ça n'est pas ma culture (j'utilise pas les mots "wacks", et "shlag" dans mon vocabulaire quotidien en tout cas), mais je me permet de penser que nous sommes en train de vivre un truc dans l'hexagone. Une nouvelle vague qui va faire du bien à un mouvement hip hop qui en a certainement besoin. Merci à Triptik, et tous les gens cités en gras dans ce texte pour m'aérer les oreilles un peu tous les jours en tout cas.

ps : Dans mes rêves les plus fous, je me prends un peu pour un rappeur. Je crois que j'aimerais bien essayer. J'ai les doigts de pieds sur le bord du plongeoir. Si il y a quelqu'un qui lit ça et qui a envie de me pousser dans la piscine qu'il n'hésite pas, j'ai toujours quelques rimes en stock sous mon bonnet de bain.